(Terminé) Que ma foi demeure

Ténèbres.

C’était les ténèbres, tout les matins, même lorsqu’elle ouvrait les yeux. Ses paupières étaient lourdes et sa bouche pâteuse. Elle tendit la main vers le côté et heurta le mur. Elle grimaça un peu et baissa son bras jusqu'à sentir le froid mordant du verre sur sa table de chevet. Elle s’en saisit et le porta à ses lèvres en se redressant. Elle but une gorgée peu satisfaisante de cette eau au goût de fer et reposa le verre à sa place originale.

Elle écouta un instant. Les sons du matin trop souvent délaissé par les autres, les voyants.

La noirceur laissa sa place à un brouillard épais, la lueur du jours .tant la seule chose qui altérait sa réalitée. Elle entendait sa mère, chantonnant dans la cuisine, le son de deux bols se posant sur la table. dehors, quelques gamins jouants déjà, malgré l’heure très matinale. Au loin, quelqu’un étendait sa lessive, laissant trainer dans l’atmosphère le “coui coui” machinal de la poulie rouillée.

Elle se leva, laissant un instant ses pieds en suspens au dessus du sol avant de toucher terre. Les planches du parquet, grumeleuse de poussière, fraîches et inégales lui parurent trop familière, ce matin là. Elle se leva et sans effort, connaissant son chemin par coeur, elle s’habilla simplement et balança ses cheveux vers l’arrière. Elle passa sa main sur le rideau qui séparait sa chambre de fortune du reste de la maison. Elle eu un petit frémissement de plaisir et de satisfaction en entendant le “flooch” du tissus sous sa main.

-Debout, déjà? Fit sa mère, sans un vrai ton de surprise dans sa voix.

Aïra apparut, se frottant un oeil. Elle se contenta de lui répondre par un sourire à demi réveillé. La mère, dans la cinquantaine, ria un peu en voyant sa progéniture dans un tel état.

-J’ai du porridge. Déclara t elle, doucement.

Aïra secoua la tête négativement.

-Garde pour toi, mama. Je vais me rendre là bas directement.

La mère, répondant au nom de Reina, mis les mains sur les hanches, faussement renfrognée.

-Tu compte passer la journée là bas?

Sa fille haussa les épaules et se dirigea vers la sortie.

-Il pourrait revenir aujourd’hui.

Elle n’attendit pas de sa mère réponde et sortit.

Dehors, comme à chaque fois, avalanche de sensations. les odeurs, les sons, le sol glacial sous ses pieds nus. Elle prit une grande inspiration et prit à droite, vers l'endroit ou elle passait, depuis toute petite, le plus clair de ses journées. Les rues, fourmillantes déjà de monde, s'emplissait peu à peu de bruits et d’odeurs. Un feu brûlant, une mère grondant son enfant, le son des bottes sur la terre. Dans ce chaos organisé, dépassant un peu le commun des habitant, Aïra marchait, sa cécité ne l’empêchant manifestement en rien. Alors qu’elle évitait de justesse un jeune garçon turbulent, celui-ci s’arrêta, la salua avec un grand sourire et elle lui ébouriffa un peu les cheveux. La musique naturelle ambiante la fit sourire un peu, en coin et elle continua sa route, pressant le pas.

Assez mince, elle se faufila entre les badeaux et finit par arriver aux marches du bâtiments, après plusieurs minutes de marche. Le silence et le calme émanait de l’endroit, la relaxant instantanément. Enfin, presque.

Il n’était pas venu depuis longtemps et elle devait admettre ne pas trouver ça normal. Elle s’inquiétait, même. Netralite, leur guide à tous, avait réussi à devenir pour elle la présence de ce père qui lui manquait. Ne pas savoir ce qu’il devenait l’incommodait. Lui éait-il arrivé malheur? Ou pire... Les avait-il abandonné?

Elle réajusta son mateau peu épais et gravis l’escalier sur la pointe des pieds. Les oreilles aux aguets, elle pénétra discrètement à  l’intérieur.

La symphonie du matin guida les pas de la jeune femme. Elle se glissa entre les gens, autant des citoyens comme elle que des Défenseurs, sans aucun problème. Comme elle l'avait remarquée, le brouhaha habituel était encore là. Mais c'était la mélodie d'une Sicherheit vivante.

La douce atmosphère de la foule se changea en une, plus tranquille, des quartiers environnant le lieu de culte. Quelques rues sinueuses formaient le sentier vers le calme et la sérénité. Puis, le bois qu'Aïra reconnaissait si bien sous ses pieds l'invita presqu'à gravir les trois marches, menant au porche. Là, la porte éternellement déverouillée tourna doucement dans sa main.

En premier, la douce chaleur la frappa. Ensuite, le tapis sous ses pieds nus, moelleux. Elle savait qu'elle se trouvait dans le minuscule vestibule. Plus loin se trouvait la grande pièce de méditation commune, où le sol avait été couvert de tatamis. Dans l'air, l'odeur des bougies de méditation et de l'encen, subtile.

Quelques bruits se faisaient entendre. Une respiration rauque là, probablement à un Altéré, assez gros selon la sonorité. Plus près des bougies, des doigts qui jouent sur les fibres d'une robe de toile. Une femme, probablement. Une habituée, selon son parfum. Au milieu de la pièce, les bruissements de feuilles, craquements du bois. Un Orchid, probablement. Il n'y avait aucune voix, simplement le silence.

Celle qui s'occupait du lieu de culte en l'absence du Netralite n'était pas venue l'accueillir. Elle prenait probablement du temps pour un membre dans le besoin, dans les salles privées, en bas.

Il n'y avait que du silence, et probblement une certaine déception pour la jeune femme. La voix artificielle de leur guide spirituel ne se faisait pas entendre...

Mais pourtant.

Chaque fois qu'Aïra avait été en.présence du Netralite, elle avait ressentie cette impression. Une tension, à l'arrière de sa tête et dans sa nuque. Son poil qui s'hérissait sur ses bras. Une pression dans l'air. Surtout, une brume bleutée dans ses éternelles ténèbres. Tout comme certains Orchids avaient leur propre odeur très précise, le Netralite laissait cet effet quand il était dans les parages. Et ça, la jeune femme se savait chanceuse de pouvoir le sentir aussi bien.

Dans tous les cas, ça signifiait une chose: le chef de culte était dans les parages.

Presque instantanément, un sourire naquit sur son visage. Elle se tourna un peu, continuant sur sa gauche, poursuivant cet instinct qui l’habitait depuis si jeune, depuis leur rencontre.

Dans l’excitation, elle manqua de peu de renverser un habituer de la maison, s’excusa rapidement et continua sa route sans même attendre de réponse. Du bout de ses doigts noircis, elle suivait les murs, sentant le rugueux des planches, chaque recoin et interstices. Trop absorbé par sa course folle, elle ne remarqua pas deux voix qui la croisèrent, deux femmes parlant ensemble.

Elle sursauta, les entendant, elles se turent et elle sentit le poids du regard curieux sur son visage. Machinalement, d’un geste qu’elle avait développé très jeune, depuis son altération, elle porta sa main à sa joue et tourna légèrement la tête.

Elle pressa le pas et fut soulagé d’entendre la conversation reprendre, sans plus de regard pour elle et sa différence. Elle tourna le coin, continua déterminé, pied droit, pied gauche pied droit, pied gauche, pied droit, pied gau--

Stop.

Elle freina sec, priant intérieurement que personne ne la suivait de près.

Dans le coin de son œil, le jeu de lumière se teintait de bleu. Son bleu.

Elle se tourna devant ce qui semblait être un cadre de porte. Elle sourit.

-Vous êtes là… fit elle, la voix presque tremblante, sans se soucier que Netralite se trouve seul ou pas.

La jeune femme passa dans les couloirs, en quantité limités, mais bien là. Elle descendit l'escalier menant aux salles de méditation privées, butta presque contre une habituée, puis avança. L'avant dernière porte était la bonne, d'où semblait sortir la brume. La porte n'était pas fermée, et aucun son ne se faisait entendre, sinon ceux, particuliers mais familiers, du Netralite.

Une ronronnement, dû à ses systèmes cybernétiques. Le son subtile du métal qui bouge, doucement. Mais... sa respiration, plus sifflante qu'à l'habitude.

La voix de la jeune femme se fit entendre, et elle put capter les bruits caractéristiques de quelqu'un qui sursaute. Puis, la voix synthétique sonna dans la pièce. Même... la brume mena directement à deux points bleus, brillants, hypnotisants... les seuls yeux qu'Aïra aie vu dans sa vie.

- Aïra... Tu sembles inquiète. Que se passe-t-il?

Il était là, assis, immobile. Au milieu de la pièce privée, en position de méditation... mais avec son katana soigneusement placé sur sa gauche, sur le sol.

Sans plus de cérémonie, elle s'avança vers lui. Trop fière pour lui sauter au coup comme une enfant de 10 ans, elle s'agenouilla près de lui, se faisant petite malgré sa taille relativement haute. Elle replaça une mèche de cheveux, fillasse, derrière son oreille.

- Cela fait un bon moment que vous étiez absent... Je m'inquiétais, simplement.

Elle remarqua le sifflement et fronça légèrement les sourcils.

- Tout va bien?

Elle avança discrètement la main et tomba sur le katana. Elle n'en fit pas cas, tentant de se concentrer, de ne pas se laisser enivrer par les petits crépitements qui naissaient dans le bout de ses doigts. Elle le maîtrisait, maintenant. Enfin, la plupart du temps.
Elle se racla la gorge.

- Vous me semblez... fatigué.

Le silence, alros qu'elle approchait. Elle savait pourtant que les yeux bleus épiaient le moindre de ses mouvements. Même, quand sa main frôla l'arme, elle sentit un contact métallique, loin de celui cuiré du fourreau de l'arme, doucement dévier sa main. Comme quoi le Netralite ne voulait pas qu'elle se blesse sur l'épée.

- Malheureusement, j'ai à faire ailleurs... ce ne sont pas toutes les personnes ayant besoin d'aide qui ont la force de venir jusqu'ici.

La présence rassurante emplissait la pièce. Électrisait délicatement la jeune femme, de par la tension dans l'air. Elle entendit un mouvement, comme s'il replaçait sa propre main sur sa jambe, puis un gloussement, étrange de par sa voix synthétique.

- Mon état n'est pas problématique. Ma santé n'est pas à risque. Ma sérénité est intacte. Je vais bien.

Semi-vérité ici. Elle pouvait le savoir, l'entendre, dans les mots dits plus lentement. Même... un genre de grésillement électrique se faisait entendre. Au niveau de l'épaule de leur guide. L'épaule gauche, dans l'articulation.

- J'aurai tout le temps de me reposer. Ne t'inquiètes pas. Mais, dis moi... comment te portes-tu, de ton côté?

Les mains métalliques se posèrent sur les siennes, et les crépitements augmentèrent un peu.

Elle s'apprêta à argumenter au sujet de son état mais choisis sagement de se taire. Elle soupira et tenta de paraitre la plus calme possible, bien que l'excitation et la joie de le revoir sain et sauf lui montait au crâne. Elle se concentra un instant pour faire cesser les crépitements ou, du moins, les amoindrir.

-Je vais bien. Ma mère aussi. Nous ne manquons de rien pour l'instant et réussissons à avoir une vie convenable.

Elle sembla hésiter un instant puis continua, baissant un peu la voix.

-Je suis de plus en plus à l'aise avec... Je le controle, la plupart du temps. Les accidents se font rares, et je dois dire que ça me rassure. Je ne voudrais pas mettre ma mère en danger avec ses couteaux de cuisine.

Elle sourit et leva les yeux, tentant de les diriger vers les deux halo bleuté qu'étaient ceux de son mentor.

-J'aimerais vous aider. Partir voir les gens qui ont besoin de nous avec vous. Je brûle de faire une différence, de me rendre utile...

Elle hésita de nouveau et se tût.

Les deux mains métalliques restèrent sur les siennes. Comme toujours, le Netralite resta silencieux, jusqu'à ce qu'Aïra aie totalement finit de parler. De par les deux yeux lumineux, elle remarqua facilement qu'il acquiesçait doucement.

- Je suis heureux de l'entendre. J'espère également que tu n'as plus de problèmes de maux de tête.

Il se tut, quelques instants. Probablement en réflexions. Peut-être attentif aux sons. Des gens entraient, en haut, et se saluaient, d'un ton de voix respectueux pour la méditation.

- ...tu sais, Aïra, que je priorise le bien être de chacun, avant tout. Me suivre ne serait pas nécessairement une bonne chose pour toi. Tu apprends bien, mais tu en as encore à apprendre.

Le silence revint, et les doigts métalliques passèrent sur les jointures de la jeune femme. Sur le dessus des mains, les articulations des doigts, dans un mouvement qui semblait endormir les crépitements.

- ...mais, peut-être pourrais-tu m'aider. Aider l'un des nôtres. Vois-tu, un autre membre s'est révélé apte... Il se contrôle moins que toi. Il est encore dans la période de douleur et d'instabilité. La période de crainte, qui vient avec le don. Il aurait besoin d'un guide... mais je ne peux pas l'approcher. Ma présence... lui fait mal.

C'était un cas. Les premiers mois, quand Aïra avait eu le don, elle avait remarqué que la présence du Netralite lui avait donné des maux de tête. Avec le temps et l'exposition, il l'avait aidé à tout contrôler et la douleur était partie.

Elle ferma les yeux et fit oui de la tête.

-Je comprend... Ces périodes peuvent devenir difficiles lorsque le support manque. J'irais le voir.

Elle r'ouvrit les yeux, se laissant calmer par le bleuté ambiant.

-Les migraines se font très rares, en effet.

Elle se redressa, décidée.

-Je ferais de mon mieux pour aider cette personne. Dites m'en plus.

Le Netralite resta silencieux, quelques instants. Attentif, également. La jeune femme se redressa et il la suivit du regard, tranquillement.

- Il a eu des problèmes. Assez que, pour l'aider, tu devras passer par une Gardienne. Steinhart. Elle voudra savoir qui t'envoie. Dis lui la vérité. Que tu viens pour aider. Voir comment il va. Tu n'as pas besoin du nom de notre confrère. Tu vas le sentir, quand il sera près.

Il eut un soupir, las, et elle entendit le bruit du métal qui frotte contre d'autre. Des poings qui se serrent.

- s'ile ne veulent pas de toi, assures-toi simplement qu'il va bien. S'il-te-plaît. Je ne demande rien de plus.

Son mentor se tut, et les deux point lumineux se tamisèrent: il avait fermé les yeux.

Elle acquiesça puis demeura interdite un instant.

-Où pourrais-je trouver la Gardienne?

Elle attendit un instant, pas de réponse. elle s'accroupit de nouveau et tendit la main vers l'homme de métal.

-Netralite...? Netralite, êtes-vous sûr que vous allez bien?

Une petite vague d'angoisse la submergea lentement, quelques souvenirs des derniers instants de son père lui revenant en tête. Sa main contre la sienne, une dernière blague, un dernier rire se muant en soupir puis plus rien. Plus rien, mis à part des sanglots. Elle ignorait encore aujourd'hui de qui ils provenaient, de sa mère ou d'elle.

Elle secoua la tête, tentant de chasser ce cauchemar qui revenait parfois la hanter. Mieux valait se concentrer sur la tâche et laisser le deuil en paix, dans ce coin sombre de sa tête. Netralite était simplement fatigué, pensa t-elle, alors qu'elle se relevait tout en songeant comment trouver la demeure de quelqu'un sans pouvoir lire une carte ou une adresse écrite. Elle demanderait à sa mère, elle saurait, surement.

Perdue dans ses pensées, elle restait sur place, l'ongle de son pouce entre les dents.

La main d'Aïra se tendit et toucha du métal. Une épaule, semblerait. Mais cette épaule là n'était pas lisse, comme elle aurait du l'être. Elle avait un marquage profond. Des irrégularités, sous les doigts. Le métal avait été sévèrement affecté, déformé, même.

- Chacun doit s'occuper des obstacles que la vie leur a préparé. Je surmonte les miens, en prenant le temps. Ne t'inquiète pas pour moi.

Il se tut un peu, puis se leva. L'arme resta au sol, sagemement à sa place. Le Netralite, lui, posa doucement une main sur l'épaule de son élève, utilisant sa main du côté inverse à l'articulation endommagée.

- Demande la Gardienne à la caserne. Ce sera plus simple. De plus, il n'est pas rare que des citoyens reconnaissants demandent à voir les Défenseurs qui les ont aidé.

La main sur son épaule se glissa près de son visage et elle sentit la mèche rebelle se faire remettre délicatement à sa place.

Elle ne put retenir un sourire, franc, exposant toutes ces dents aussi noires que la moitié de son visage, contraste déroutant avec le rouge de ses gencives. Elle baissa la tête et recula un peu. Elle avait confiance en lui, il saurait se sortir de ce qui le minait.

-J'y vais donc. Prenez soin de vous.

Elle laissa ses pieds la guider, leur douce résonance contre le plancher du couloir. Elle était rassuré et pour la première fois depuis un bon moment, se sentait utile, à sa place.
Elle se dirigea rapidement vers la porte et resta dans l'entrée un bon moment.

Elle se concentra, ferma les yeux et respira.

Dans les ténèbres, au coin de son esprit, se dessina un tableau abstrait dont elle seule connaissait la signification. Elle savait se mouvoir dans ces halos, en prévoir le déplacement et comprendre leur nature. Plus loin, au loin, dans le fond de ce décor de point lumineux et électrisant, un amoncellement plus gros se fit voir. Elle comprit donc qu'il s'agissait de sa destination.

Elle voyait sa destination.

Elle s'émerveillait tout les jours de plus en plus par la grande beauté contrastant avec le grand malheur de cette condition. Sa main toucha la poignée, crépitant joyeusement. La lumière envahis un instant ses brumes, mais elle ne la gênait pas.

Elle sourit en inspirant profondément et prit la direction de la caserne.