Entre quatre murs (DM & Leo)

Le son étouffé de trois démarches très différentes résonnait à travers la petite ruelle. Leo, accompagné de Saarth’alis et d’un autre nomade, avançait d’un pas dynamique en direction de la demeure de Stein. Après tous ses efforts la rencontre allait finalement avoir lieu. Cette perspective l’emplissait à la fois d’excitation et d’anxiété : enfin des pistes de solution s’offraient aux nomades… mais que se passerait-il si des obstacles se présentaient ? La santé d’Ulrich inquiétait beaucoup le jeune ingénieur, entre autre. Que feraient-ils si il trouvaient l’élu encore alité et comateux ?

Il repoussa ses questions et se concentra sur la direction à prendre. Se diriger a travers un dédale de chemins qu’il n’avait fait qu’une seule fois, la nuit, à l’intérieur d’une calèche était déjà complexe… mais en plus il devait planifier le tout pour passer dans des zones moins fréquentées, rester subtil et hors de vue. Bientôt la petite ruelle déboucha sur une rue plus ouverte, puis sur un chemin bordé d’arbres couverts de neige. Le poids de la ville quitta un bref moment l’atmosphère et bientôt l’imposante demeure des Stein s’offrit à leur regard. On distinguait quelques fenêtres illuminées, ce qui était bon signe. Leo doutait qu’Amaz et Zama tiennent l’éclairage actif si Stein n’était pas éveillé. Il avait déjà averti Saarth’alis et ses compagnons de ce à quoi s’attendre une fois la porte poussée, aussi se contenta-t-il d’un léger regard en leur direction pour s’assurer qu’ils soient prêts avant de sonner à la porte. La noirceur les protégeaient mais mieux valait ne pas trop trainer à découvert.

Saarth'alis, déjà à la maison de Gabrielle et Lionel, n'avait pas été très compliqué à rejoindre pour cette rencontre. La raison pour laquelle ils partaient aussi tard, par contre, mis à part devoir se déplacer subtilement, restait que le Nomade était allé chercher quelqu'un. Il l'avait décrit à Léo comme un technicien de leur peuple, presqu'un ingénieur, sans vraiment donner plus de détails. Tout de même, le nouveau venu s'était présenté, accompagné de Saarth'alis, à la maison du Gardien. Il était moins grand que Saarth'alis, de quelques pouces, mais presqu'aussi large. Lui portait une armure noire, avec quelques motifs agressifs de gravés dessus, également marqué par des égratignures, et même des impactes de balles. La combinaison dessus était noire elle aussi, agrémentée d'argenté. Le nouveau venu, présenté comme étant Valadhir, s'était montré très subtile et silencieux. Il y avait une certaine méfiance dans sa posture, mais rien d'agressif.

Le trio improbable était donc parti une fois la nuit tombée. Aucun des deux Nomades, malgré leur armure et leur taille, ne faisait de bruits. Ils se déplaçaient comme des ombres et réussissaient même à leur faire éviter des patrouilles, de temps à autres. Cette race avait un gros plus, de ce que Léo pouvait observer: ils avaient un odorat tellement précis qu'ils pouvaient dire combien de personnes se trouvaient dans un groupe, de quel sexe ils étaient, comment ils étaient équipées... et même s'ils fumaient ou non. C'était un talent particulier, mais aussi nuisible, de temps à autres. Aucun des deux n'avait expliqué pourquoi le "nuisible", par contre.

La demeure de l'Élu se présenta devant eux, en effet. Personne ne rôdait dans les rues avoisinantes. Il n'y avait qu'eux et l'imposante maison, qui montrait clairement des signes de vie. Les deux Nomades étaient aux aguets, assez heureux d'avoir été avertis également, et observaient avec attention. Ils répondirent tous les deux d'un signe de tête et lui emboîtèrent le pas, silencieusement toujours. Près de la porte, Valadhir murmura quelque chose dans sa langue, chose à laquelle Saarth'alis répondit tout bas, et de manière assez courte. Il y avait une certaine inquiétude dans le ton de leur chant, mais rien de très gros.

La porte se présentait devant eux, et ne manquait plus qu'à cogner, maintenant.

L’ingénieur pris une grande inspiration, leva sa main et cogna fermement à la porte. Il fit un petit pas en arrière, afin d’être plus près de ses accompagnateurs et patienta. Ils étaient censés être attendus… mais encore une fois l’esprit craintif de Leo envisageait tous les scénarios catastrophes possibles et ne pouvait s’empêcher d’être nerveux. Par le ciel qu’il allait être soulagé si la rencontre se passait bien.

Les deux Nomades se dressèrent un peu alors que Léo cognait. Une certaine tension était visible dans leur langage physique, surtout celui de Valadhir, qui n'osait presque plus bouger. Et puis, que Léo le sache ou non, les non-humains sentaient sa nervosité... ce qui ne les aidait pas à être plus tranquilles.

Les minutes passèrent, puis la porte s'ouvrit. Derrière se tenait Amaz, qui les observa quelques instants. La machine sembla figée un peu devant la vue des deux personnes en armure. Avant que quelqu'un aie le temps de parler, par contre, Amaz se reprit, puis s'écarta de la porte pour les laisser entrer. Une odeur douce flottait dans la maison, et une bouffée chaude les enveloppa du moment qu'il mirent le pied dans l'entrée.

- Monsieur Steinhart. Je suis heureux de vous revoir. Entrez, je vous en prie. Messieurs prendrons bien une tisane, j'espère. Je viens justement d'en faire et, je dois dire, elle est excellente. C'est l'avis d'Ulrich, dans tous les cas... Ah, je vous prierais de laisser vos bottes dans l'entrée, s'il-vous-plaît.

La machine était visiblement très loquace en cette soirée, ce qui sembla rendre les deux Nomades un peu plus nerveux. Ils se consultèrent du regard, puis entrèrent à la suite de Léo. Comme demandé, ils enlevèrent leurs bottes, qui sembla simplement se détacher du reste de l'armure, puis attendirent que l'ingénieur bouge pour le suivre. C'était hors de question qu'ils prennent les devants dans un lieu inconnu.

Leo Hocha la tête en réponse à l’accueil d’Amaz et pénétra dans l’imposante demeure.

"Heureux de vous revoir également Amaz. Laissez-moi vous présenter Saarth’alis et… Valadhir. Messieurs, voici Amaz."

La chaleur qui régnait dans le hall eut tôt fait de chasser une partie des inquiétudes du jeune homme. La mention de l’élu termina de le calmer. Il était réveillé dans ce cas… excellent. Il retira son manteau et ses bottes avant de suivre l’androïde à travers les luxueux corridors du manoir Stein. Il ne parvenait toujours pas à se sentir à l’aise dans cette immensité de bois ouvré et de tapis, mais il commençait déjà à s’y sentir moins étranger. Il ne restait plus qu’a espérer que ses deux invités finiraient pas faire de même.

Amaz observa les deux Nomades, eut un petit gloussement et continua de les guider, tranquillement. Encore, ses mouvements étaient excessivement fluides et laissait deviner un design très poussé. Il continua de leur parler, par contre, tout en avançant dans les grands couloirs ouvragés. Comme toujours, la décoration et l'entretient étaient impeccables.

- Monsieur Saarth'alis, monsieur Valadhir, c'est un plaisir. Je vous en prie, prenez tous la liberté de me tutoyer. Laissez le vouvoiement pour le maître des lieux.

Les deux Nomades acquiescèrent lentement, mais ne dirent pas un mot. Le quatuor se rendit à un grand salon, celui où Léo s'était déjà installé avec Stein, et la machine prit la peine de les annoncer. Dans le salon, l'Élu était tranquillement assis, couvert de son habillement habituel… à la différence de son bras problématique, qui était à découvert de son genre de combinaison, mais tout de même serré dans des bandages, doigts y compris.

À leur arrivé, Ulrich se leva, doucement. La vision des Nomades semblait le troubler et le rendre excessivement curieux à la fois. on voyait une certaine crainte, même, vis-à-vis ces deux mastodontes, crainte qu'il chassa bien rapidement de son regard. On l'entendit tout de même marmonner quelque chose, en allemand, mais rien de très précis.

Suffisait maintenant à Léo de faire les présentations.

Leo pénétra dans le salon à la suite de l’androïde et son regard se planta presqu’instantanément sur Stein. Surtout après l’intervention de Pipes, le voir debout était rassurant. Peut-être l’élu avait-il raison : il en avait vu d’autres.

L’ingénieur avança jusqu’à une distance respectueuse et s’inclina doucement.

"Merci de nous recevoir, monsieur Stein."

Le jeune homme s’écarta afin de laisser place aux deux nomades.

"Voici Saarth’alis et Valadhir. Ce sont les deux représentants de l’équipe dont je vous ai parlé. Messieurs, voici Ulrich Stein, l’élu du secteur scientifique. Un grand homme, qui a toute ma confiance."

L’ingénieur rougit un peu mais se tint droit. Il avait organisé cette rencontre… maintenant c’était aux nomades de voir avec Stein quel arrangement était possible.

L'Élu resta debout, figé un peu, même. Amaz, près de lui, lui tapota gentiment le dos pour le défiger, mouvement qui sembla ramener le scientifique dans le moment présent. Il se râcla un peu la gorge, visiblement gêné de son manque de tact, puis s'inclina doucement. Son corps encore faible ne lui en permettait pas beaucoup, mais au moins, il pouvait donner cette politesse.

- Messieurs… Enchanté. Merci, Léo, de me les avoir emmené. Je vous en prie… installez-vous. Mes sofas sont capables de soutenir Amaz, alors je n'ai pas peur pour votre confort.

Les Nomades se jetèrent un œil, puis bougèrent, lentement. Valadhir observait encore la machine, l'air un peu méfiant. Saarth'alis, lui, semblait neutre dans le moment. L'ingénieur Nomade s'installa sur un sofa, mais Saarth'alis, lui, se mit simplement à genoux au sol, dans une position de méditation.

- Merci beaucoup de bien vouloir nous voir. Léo nous a dit beaucoup de bien de vous… et nous espérons pouvoir profiter de vos conseils. Notre situation est… disons… complexe…

Le Nomade s'arrêta et sembla hésitant. Il observa l'Élu, puis Léo, puis échangea quelques mots à son congénère. Ulrich, lui, en avait profité pour s'installer sur son fauteuil une place, tout en indiquant à Léo qu'il pouvait se mettre à l'aise. Il prit justement la parole, alors que les Nomades hésitaient.

- Vous pouvez parler sans contraintes. Je suis au courant de bien des choses… et je fais totalement confiance à Léo. Je l'ai déjà mis dans la confidence de quelques aspects…

Les deux Nomades s'observèrent encore, Saarth'alis soupira, puis acquiesça.

- ...je vois. Donc. Pour faire bref… notre équipe a subi de lourdes pertes après être tombée près de votre État. Autant en matériel qu'en équipage. Nous ne sommes pas équipés contre le froid, nous manquons de vivres, nous avons beaucoup de blessés et de malades… l'un des nôtres attend un enfant…

Saarth'alis se tut suite à un long soupir. Parler de la situation de son peuple semblait lui peser énormément. L'autre Nomade, Valadhir, se fit alors entendre, dans un français très cassé.

- Machine. Être un modèle Androïde hybride sol-air de dixième génération. Correcte?

Stein sembla un peu surpris, ses yeux s'agrandissant sous son masque. Amaz, lui, tapa des mains, visiblement excité. Le silence tomba tout de même dans la pièce.

Bien installé dans son fauteuil, il avait suivi l’échange avec attention, guettant un moment où il serait requis. Un hochement de tête, un mouvement d’approbation… juste ce qu’il fallait pour rassurer et Stein et les deux nomades. Il était, après tout, le seul point commun entre les deux parties ici présente.

Lorsque l’ingénieur étranger parla toutefois, Leo figea de surprise.

"Vous… vous connaissez cette technologie ?"

Les neuronnes du jeune homme se mirent à marcher à toute vitesse. Qu’est-ce que Saarth’alis lui avait répondu lorsqu’il lui avait demandé son âge ? que ce serait difficile à accepter ou à envisager pour lui ? Était-il possible que les nomades arpentent le monde depuis plus longtemps que l’état ?

L'Élu n'osa pas parler pendant quelques instants, puis se massa les yeux légèrement. Il observa les Nomades du regard et eut un petit rire, à la fois amusé et désespéré.

- Oui, effectivement. Modèle A-98097, de défense. J'en ai une autre, médicale, celle-là… C'est un lègue de nos ancêtres, que ma famille garde depuis le début de l'État.

Valadhir acquiesça, puis tourna son attention sur Léo. Il restait calme, mais visiblement, il cherchait comment bien dire ce qu'il avait à exprimer.

- Connaître, oui. Être populaire… quand nous marchander avec Humains. 'Alis être capable expliquer.

Saarth'alis acquiesça lentement, puis fixa un regard très sérieux sur l'Élu. Il semblait toujours aussi hésitant, par contre.

- Écoutez, monsieur Stein… quand nous nous sommes… "retrouvés" ici, quelqu'un a percé le brouillage magnétique dans l'Atmosphère pour nous envoyer un message. Un avertissement. "Ne leur dites pas la vérité. Ils ne sont pas prêt à la savoir. Si vous le faites, je vous trouverai un à un, et je vous éliminerai." Nous n'avons pas cru à de telles menaces… et nous avons cherché de l'aide après notre arrivée désastreuse ici. Le premier groupe que nous avons croisés, des Scavengers de ce que j'en ai compris, ont été légèrement hostiles. Ils ont voulu nous aider… et ils sont mort. Avec l'équipe des nôtres qui faisait affaire avec eux. Tous ont eu le cou cassés ou le cerveau… éclaté. Alors je demande: est-il sage de parler, ici? Allons-nous vous mettre en danger? C'est la dernière chose que je souhaite…

Stein l'écouta attentivement, puis prit une profonde inspiration. Il se leva, puis observa Amaz.

- L'homme qui vous a menacé ne peut pas entrer ici. Pas tant que mes machines seront en fonction. Pas tant que les secrets de cette maison la protègeront. Il ne peut pas approcher à cinq kilomètres de cette maison. En plus d'être en sécurité ici, il ne pourra pas non plus vous blesser si vous emmenez les vôtres en ces lieux. Pour ce qui est de moi… il ne me fera pas de mal. Il ne peut pas le faire. Et pour Léo… il ne lui fera pas non plus de mal…

Le regard du Nomade se tourna vers Léo, qui put entendre son long soupir de soulagement. Amaz se fit alors entendre, de sa voix joyeuse.

- Je vais aller vous préparer du thé. De ce que je me rappel, les gens de votre race apprécient les saveurs fleurales! Je vais vous faire quelque chose de bon!

Et la machine s'en fut, à l'étonnement de tout le monde dans la pièce.

L’ingénieur resta silencieux, à observer attentivement tout ce qui se passait et se disait. Son cerveau était en ébullition.

Pipes était donc au courant de l’arrivée des nomades mais, pourquoi ne lui en avait-il pas parlé lorsqu’ils étaient seuls dans la calèche ? Pourquoi n’avait-il pas essayé de le décourager d’aider les nomades avant que ceux-ci ne se rendent chez Stein ? Quoi qu’il en soit une variable devenait urgente : ils devaient transférer Thyrrinn au plus vite. Il ne faisait pas confiance à Pipes pour laisser Gabrielle et Lionel tranquille.

"Ça fait beaucoup de nouvelles information… heureusement elles changent peu de chose à notre objectif. Au mieux ça promet de rendre les prochains échanges assez intéressants. "

Il regarda les deux nomades avec un sourire qu’il voulait rassurant mais qui s’évanouit comme neige au soleil quand l’androïde quitta la pièce. Leo ouvrit la bouche pour parler, mais la referma, incapable de formuler quelque chose qui aurait fait du sens. Il prit un moment pour regarder tout le monde avant de soupirer longuement.

"Je crois que je ne me suis jamais sentis aussi jeune qu’en ce moment… "

Stein fit signe à Amaz qu'il était d'accord avec son impulsion du moment d'un signe de main las. Toutes ces informations semblaient faire travailler l'Élu assez intensément, assez qu'il en semblait fatigué. On captait une certaine faiblesse dans son regard, et c'était très simple pour l'ingénieur de se rappeler que l'Élu était passé près de la mort, récemment.

Les deux Nomades jetèrent un œil à Léo, et Saarth'alis acquiesça doucement. Son regard revint vers Stein, et alors qu'il se levait pour s'approcher, le généticien se raidit un peu. Sa faiblesse semblait le rendre légèrement nerveux. Le Nomade se contenta pourtant de s'incliner, tout en parlant.

- Nous serions très reconnaissants si vous pouviez nous protéger… redevables, également. Nous n'avons pas grand chose en terme de possessions, mais nous détenons beaucoup de savoirs. J'espère que ce sera une monnaie d'échange qui vous plaira, aux vues de la situation.

L'Élu se contenta d'hocher la tête, puis tourna son regard brillant vers Léo. La remarque du jeune homme n'était pas passé dans l'oreille d'un sourd, aussi se sentit-il obligé de le rassurer un peu.

- La jeunesse est ici un avantage, Léo. Vous aurez la chance d'apprendre ce que j'ai mis une vie à développer, aussi tôt dans votre carrière. Messieurs… vous pouvez mettre Léo dans la confidence. Je lui fait totalement confiance de mon côté, et je crois que vous aussi, d'ailleurs. Il a le droit de savoir la vérité.

Les Nomades semblèrent hésiter et se consultèrent, dans leur langue chantante. Le silence retomba ensuite, un peu plus lourd que précédemment.

L’ingénieur se crispa un peu devant le silence qui régnait maintenant dans la salle, un sourcil relevé et des plis d’inquiétude barrant son front. Est-ce que l’élu et les nomades… non. Ne pas sauter aux conclusions, leur laisser la chance de s’expliquer. Il lui manquait clairement une pièce du puzzle. Il regarda, un a un, tous les hommes présents avant de parler.

"La vérité ?"

Il anticipait déjà le réponse… ne sachant que trop bien ce qui allait transparaître.

Ce fut Stein qui parla en premier, très au courant de l'inquiétude de Léo. Et puis, comme il l'avait dit à l'ingénieur, il était capable de "voir" la nervosité des gens. C'était facile pour lui de remarquer les états d'âme du jeune homme.

- Il y a plusieurs choses à dire et à savoir… c'est compliqué, dans les faits. Ça revient aux origines de notre État, pour être franc. De quoi nous sommes faits, réellement… D'avant. Je… comprenez, avant, que j'ai l'obligation de ne rien dire à personne. Pipes a raison sur un point: l'État n'est pas prêt à savoir la vérité. Autant sur ses origines que sur le reste.

L'Élu se tut et eut une quinte de toux assez creuse. Lui qui transpirait l'épuisement, maintenant on pouvait presque se dire qu'il allait perdre conscience, tomber de fatigue. Valadhir continua donc, de son français cassé, mais tout de même comprenable.

- Nous être tombés du ciel. Nous venir des étoiles. Vaisseau. Nous être crashé. Autre civilisations dans les étoiles.

Valadhir se tut de nouveau et glissa quelques mots à Saarth'alis, qui soupira doucement et se massa la tête. Pour lui, la situation semblait beaucoup plus complexe que de simplement vider son sac.

- La dernière chose que je veux, c'est vous mettre en danger de par nos paroles… Êtes-vous certain que nous pouvons parler librement? Qu'il est prêt à savoir? Parce que, visiblement, vous, vous le savez, monsieur l'Élu. Si votre État est réellement trop fermé d'esprit pour comprendre… notre présence seule va poser problème. Rendre les gens nerveux. Avec vos Puristes…

Stein tourna son attention vers le Nomade et secoua doucement la tête. Il déposa ses mains sur ses jambes et souffla un peu avant de parler.

- Il n'y aura pas de problèmes. Nous découvrons de nouvelles créatures à tous les jours. Pourquoi pas de nouveaux habitants de l'État? L'important, pour l'instant, est de mettre votre peuple en sécurité. Je pourrai vous fournir un transport assez grand pour une dizaine de personnes, pour vous emmener ici. Suffit de réunir vos gens et de se faire un point de rendez-vous acceptable, selon vos observations du terrain. Je vais aussi vous confier Amaz pour les déplacements, question de s'assurer que personne ne s'invite à notre opération de récupération… Qu'En dites-vous, Léo? Ça vous semble acceptable?

LEs trois tournèrent leur regard vers Léo, et au même moment, Amaz revint avec une infusion à la douce odeur de fleurs, ainsi que des tasses pour tout le monde.

Le jeune homme resta interdit pendant un instant, essayant très fort de comprendre les implications de ce qu’il venait d’apprendre.

"Je… humm… euh. "

Leo se secoua rapidement et revint au présent. Une chose à la fois. Les questions existentielles et l’impression écrasante de confusion devraient attendre. Il regarda tour à tour Saarth’alis et Valadhir.

"Je ne connais pas la taille exacte de votre équipe mais l’idée d’avoir quelqu’un pour superviser le tout me semble être bonne. Je… je redoute que quelque chose ne nous ait échappé et que quelqu’un d’autre que Pipes soit au courant de votre présence dans Sicherheit. "

Leo se tourna vers Amaz et pris une tasse de tisane avec gratitude. La chaleur de la tasse apporta un semblant de réconfort a l’ingénieur.

"Mieux vaut prévoir le pire. Et ne pas attirer trop l’attention. Une fois tout le monde ici nous pourrons prévoir la suite. Vous évacuer discrètement, ou vous introduire en douceur dans notre société. Ce sera d’abord et avant tout votre choix. "

Il prit une gorgée de sa tasse, laissant les herbes faire leur effet et calmer ses nerfs complètement. Le choc passé il réfléchit calmement aux propos que les nomades avaient tenus, ainsi que ce que sous-entendait Stein.

"J’en déduis que les… Nomades ont eu plusieurs contacts avec l’état par le passé. Pourquoi cela fait-il si longtemps que le lien a été rompu qu’aucune trace de votre existence ne subsiste dans notre société ? "

Les Nomades se consultèrent encore. Cette fois, par contre, ils semblèrent faire un liste de noms. Léo put reconnaître ceux de Zold'mahr et de Thyrînn, mais pas les autres. Ils finirent de se consulter, rapidement, et ce fut Saarth'alis qui reprit la parole.

- Nous sommes dix, onze avec l'enfant qu'attend l'un des nôtres. Je ne vois pas qui pourrait être au courant de notre présence, sinon vous et le dénommé Pipes…

Le silence retomba, tous dans une certaine réflexion. La prochaine question de Léo sembla rendre les Nomades, Saarth'alis du moins, hésitants. Valadhir décida donc d'expliquer, tout en jetant un œil à l'Élu, subtilement.

- Pas avec État, non… Avec autres humains. Pas ici. Pas sur planète ici. Dans les étoiles.

Stein baissa la tête, doucement, et soupira tout aussi subtilement. Il laisserait le temps à Léo de comprendre. Il semblait, par contre, prêt à répondre à des questions. Amaz, de son côté, semblait très excité par la situation. Il avait donné des infusions à tout le monde et observait attentivement les gens dans la pièce.

Leo prit une grande inspiration, essayant de faire taire ses émotions pour offrir une oreille purement objective et scientifique à ses interlocuteurs. Il était habité d’un mélange d’enthousiasme et de crainte… manifestement c’était beaucoup à prendre mais on parlait ici des origines de l’état ! D’informations uniques.

"Donc il existe… du moins existait, des colonies humaines sur d’autres planètes ? je… c’est… fascinant."

Il tourna son regard vers l’élu. Il voyait son état et se sentait mal d’insister… après tout il apprendrait sans doute les détails et les subtilités de cette connexion extraterrestre en temps en lieux. Il essaya d’être concis, clair et articulé.

"Mais je vois mal en quoi tout cela à une importance maintenant. Parles-t-on seulement de choses qui ont eu lieu il y a longtemps ? ou tout ça a une connexion directe avec ce qui se passe ? "

Il déglutit, redoutant la réponse de la question qui franchissait ses lèvres.

"Et… monsieur stein… comment êtes-vous au courant de tout ceci ? "

Valadhir n'ajouta rien, malgré qu'il semblait en savoir plus. Dans les faits, Saarth'alis sembla lui incomber le silence, même. C'était une question qui devait, à son avis, se régler entre humains. De ce qu'il en paraissait, du moins. Les Nomades ne dirent donc rien. Ils attendirent simplement, en silence, que les deux autres règlent la question.

Stein l'observait toujours et l'écoutait attentivement. Il lui laissa le temps de poser toutes ses questions avant de même vouloir commencer à parler. Quand il les entendit toutes, il soupira longuement, puis baissa la tête.

- ...il existe d'autre civilisations humaines, ailleurs. Je ne sais pas exactement où, dans les faits. Mais… elles ne sont pas des colonies, pour la plupart. Nous sommes une colonie. Perdue, de ce que je sais. Donc, c'est en connexion avec la situation présente, mais de loin.

L'Élu se leva et marcha un peu. Il semblait fragile, encore, mais avait besoin de bouger, sans contredits.

- ...mes parents m'ont légué ce savoir. Ma famille le sait depuis des générations. Il y avait des Stein au commencement de l'État. Il y en a toujours eu… semblerait qu'ils vont disparaître avec moi. Bref. Ma famille connaît les origines de l'État et supervise l'avancement technologique depuis toujours, ici. Pour que les erreurs d'avant ne se reproduisent pas. Et puis… les Archivistes m'en ont beaucoup dit…


Le regard bleu brillant se fixa dans celui de Léo. Ulrich semblait craindre sa réaction, dans le moment. Il jouait avec ses mains, tremblotait un peu même. Il respirait le stress et l'insécurité, même. Du rouge perla de son masque, et il ne sembla pas le remarquer. Les Nomades, eux, se raidirent.

- Ulrich, tu te remets à saigner du nez. Tes signes vitaux sont instables. S'il-te-plaît, assied-toi avant que Zama le remarque…

La machine se précipita sur son propriétaire et le soutint, fermement, mais doucement. L'Élu, lui, eut un soupir tressautant.

Leo avait bu les paroles de Stein, à un point tel qu’il parut très surpris quand ce dernier s’arrêta. Comme si on venait de refermer un livre qu’il était en train de lire. Il attendit qu’Amaz le raccompagne à son siège avant de s’avancer sur le sien.

"Monsieur Stein je… qui sont les archivistes ? Pourquoi tant de secret autours d’eux ?"

Il n’y avait aucun jugement, aucune peur dans les yeux du jeune homme. Simplement un besoin de réponse. Il retarda ses autres questions. Une à la fois. Ne pas précipiter.

Les Nomades restèrent murés dans le silence et écoutèrent l'échange entre les deux humains, sans les déranger. Valadhir se permit même de boire un peu, en utilisant une genre de langue, comme celle d'un papillon, qui sortit du côté de son masque, là où un humain aurait une oreille. La langue se trempa dans le breuvage et l'aspira silencieusement.

Ulrich, lui, retourna s'asseoir avec l'aide de sa machine et se massa les yeux un peu. Il ramena ensuite son regard sur Léo et sembla réfléchir à ses paroles avant de les prononcer. La chose lui prit quelques minutes, pendant lesquelles aucun bruit ne se fit entendre, sinon la respiration sifflante de l'Élu, puis il se remit à parler, d'une voix enrouée.

- Les Archivistes sont là depuis plus longtemps que l'État. Ils ont les connaissances de nos ancêtres, en plus des nôtres. Ils savent énormément de choses… C'est grâce à eux si l'État jouit d'une certaine technologie. La cybernétique, les altérations génétiques, la médecine avancée… ce sont eux qui nous ont donnés ce savoir, en plus de beaucoup d'autres choses. Ils sont la raison pour laquelle notre État est vivant… et la raison pour laquelle, je pense, que Pipes est incapable de s'approcher de ma demeure. Il sont… ici. Quelque part ici.

L'Élu se tût de nouveau, respira un peu, puis tourna son attention vers les Nomades.

- Messieurs, je crois que de récupérer vos compagnons le plus vite possible serait le mieux. Serait-il indiscret de vous demander où ils se trouvent, en attendant?

Saarth'alis secoua doucement la tête, pour indiquer que la question n'était pas indiscrète, puis se mit à parler, tranquillement encore.

- Nous avons trouvé refuge dans un bâtiment abandonné, à la base du mur, dans le secteur de l'agriculture. Ils sont terrés là, dans une trappe de stockage, sous le bâtiment. Sinon, l'un des nôtres est avec des connaissances de monsieur Steinhart, en sécurité et au chaud.

Ulrich réfléchit, puis acquiesça d'un mouvement de tête, penseur. Il jeta un œil à Léo, qui montrait un certain étonnement d'ailleurs, puis revint à ses invités.

- Que dites-vous de les mettre en sécurité dans une heure? C'est le temps dont je vais avoir besoin pour faire venir un transport ici. Le plus tôt ils seront en sécurité, et le mieux ce sera, non?

Saarth'alis et Valadhir semblèrent tous deux très surpris. Ils se regardèrent sans dire un mot, comme figé par cette soudaine initiative.

Leo soupira et baissa le regard. Le message était clair. Il lui fallut toute sa volonté pour accepter de laisser tomber toutes les questions qui lui brûlaient les lèvres. Mais son respect pour Ulrich était trop grand. Ils avaient des dossiers plus urgents à régler, à présent.

Le jeune homme tendit la main vers sa tasse de thé et la but d’un trait. Il aurait peut-être eut l’air viril s’il avait tenu un verre de scotch mais la tasse délicate remplie du liquide floral ne lui offrit pas cette chance. Il semblait déterminé toutefois.

"Y a-t-il quoi que ce soit que je puisse faire pour aider ? accélérer le processus ?"

Ulrich offrit un regard désolé à son subordonné, mais fatigué également. Peut-être préférait-il continuer cette discussion en privé avec Léo? C'était une possibilité. Il observa les deux Nomades, figés par son désir de faire bouger les choses, puis ramena son regard sur Léo.

- Préparer celui qui est chez tes connaissances serait un très bon début. C'est celui qui attend un enfant, n'est-ce pas? Nous devrons être beaucoup plus délicats et prudents avec lui. Le préparer en avance ne sera pas un luxe, alors. Léo, je vous confie Amaz, et vous irez le préparer. J'attendrai le transport avec messieurs ici. Ça me laissera le temps de m'informer sur leurs besoins, en même temps. Cela vous va?

Saarth'alis acquiesça doucement et se mit bien droit.

- Si Thyrînn se montre nerveux, dites-lui "Au nom de la Roue, je jure que le danger est à quatre battements d'ailes d'ici." Ça va le calmer.

Tous se turent et attendirent l'avis de Léo, le nouveau héro de la soirée.

Leo acquiesça et se leva. Il était un peu étourdi par la tournure des évènements mais il se tenait droit.

"D’accord, j’y vais de ce pas."

Il fit un plan mental du chemin à parcourir. Il connaissait bien le secteur de l’agriculture et avait une vague idée de l’endroit où le reste de l’équipe se trouvait.

"Ce sera un petit détours… Si je ne me trompe pas la route est plus directe d’ici à la maison de Lionel et Gabrielle. Le transport ne devrait pas attirer trop d’attention. Venez chercher thyrinn directement et nous irons ensuite chercher le reste de l’équipe. Nous serons ainsi à même d’aider si besoins est. Sur le chemin du retour il n’y aura qu’un petit moment où nous seront à découvert mais en longeant le mur nous devrions passer inaperçus. "

L’ingénieur hocha la tête, satisfait. En cas de problème il serait aussi en mesure de guider le transport sur le chemin du retour. Le cocher risquait de connaître les routes nécessaire mais Leo, lui, avait une connaissance approfondie des terrains longeant les dites routes.

Il se tourna vers Amaz, puis les nomades et finit par Stein. Il respira un bon coup et s’inclina légèrement avant de se diriger vers le vestibule. Le plan d’action était en place, il était maintenant temps de bouger.

Tous l'observèrent, en silence en premier. Sous son énonciation, Ulrich acquiesça d'un mouvement de tête, doucement.

- C'est pris en note. Amaz, assures-toi d'arriver là-bas rapidement. Et, je t'en pries, pas de cabrioles.

La machine acquiesça, tout en ayant un petit rire carrément joyeux, puis suivit tranquillement Léo au vestibule. Il faisait rouler ses épaules fluidement. Les petits ailerons dans son dos ondulaient eux aussi, dans des mouvements de vagues presqu'hypnotisants.

- Donc, monsieur Léo. Nous irons rapidement à la localisation de mademoiselle Gabrielle et de monsieur Lionel. N'est-ce pas le cyborg qui doit se faire installer le métal hypo allergène… je sais exactement où le trouver. J'ai lu son dossier. Une fois dehors… j'aurai une question pour vous.

La dernière phrase de la machine avait été dite avec taquinerie. Il attendit que Léo sorte, puis lui emboita le pas. Du moment que la porte de la demeure Stein fut fermée, par contre, il saisit l'épaule de l'ingénieur et l'observa de son regard vert.

- Dites-moi, monsieur Léo… Avez-vous le vertige?

La machine gloussa, puis passa vivement un bras autour de la taille du jeune homme, tel un danseur qui s'apprête à danser la valse.

Leo s’était habillé rapidement, ne regardant derrière lui que pour s’assurer qu’Amaz le suivait bien. Les indications d’Ulrich l’avaient laissé… dubitatif. De Cabrioles ? Que voulait-il dire ?

Le jeune homme était ensuite sortis à l’extérieur, observant avec attention les mouvements d’Amaz, sa mécanique… Par le ciel ce qu’il donnerait pour avoir un plan détaillé de cette machine. Si il arrivait un jour à construire quelque chose d’aussi fin et d’aussi efficace il aurait atteint un but inespéré. L’ingénieur remontait son écharpe par-dessus son nez pour combattre le froid mordant quand il sentit la main métalique se glisser autours de sa taille. Un peu surpris, le jeune homme regarda un instant la machine avant de répondre.

"Je… non, pourquoi ?"

La question mourut entre ses lèvres… « modèle aérien »… c’était bien ce qu’avait dit Valadhir non ?