(terminé) Dans un terrier étrangé. (Léo)

Leo avait mis un peu plus de temps pour revenir que prévu et le soleil commençait à se coucher quand il trouva finalement le chemin vers l’abris de fortune qu’il avait aménagé tant d’années auparavant. Son sac était lourd et sa démarche pénible. Il n’avait pas beaucoup dormi et une journée entière à travailler sur le brachium était épuisante. Mais il avait donné sa promesse et il comptait bien la mener jusqu’au bout. C’est donc armé de bonne foi, de quoi refaire le pansement quelques fois et de toute la viande qu’il ait pu trouver qu’il ouvrit la porte du « terrier ». L’habitude… il ne pensait pas a frapper avant d’entrer quand il était chez lui après tout.

"Bonsoir! Je suis désolé que ça ai prit si longtemps, je… "

Les yeux du jeune homme se posèrent alors sur son invité, assis dans un coin de la pièce. D’abord pris d’inquiétude, il fit quelques pas vers Heimpher.

"Est-ce que tout va… "

La vision que tout allait, pour tout dire, plutôt bien, coupa net l’élan de l’ingénieur. Son virage devint tellement rouge qu’il aurait éclairé une partie de l’abris si la lampe n’avait pas été en action. Il se détourna lentement et marcha tout aussi lentement vers l’établis.

"Je… heum… j’ai… enfin. Apporté… hum.. ce qu’il fallait pour… refaire. Votre pansement. Je… "

L’ingénieur haussa les épaules, incertain de la manière de continuer.

"Quand vous serez prêt ? "

J'ai les choses bien en main quand la trappe ouvre. J'ai pas le réflexe de m'arrêter tout de suite, un peu confus et dans la brume. C'est une foutu blague…? Bon. Ok. Le ptit bonhomme est là. Il approche un peu, l'air… inquiet? C'est bon, ptit gars, je suis en parfaite santé à ce niveau là, on se calme… Et après, il devient rouge tomate et se retourne.

Je peux pas m'empêcher de rire. Plus de Momentum, je m'en fous. On range la marchandise et on continu de rire! Ahah! Pauvre ptit bonhomme… JE suis pas du genre gêné, timide ou prude. Moi, je m'en fous pas mal… Mais le voir autant… malaisé? Ça, ça me fait rire en maudit! Assez que la douleur de ma mâchoire revient, mais je m'en fous un peu. Je rattache mon pantalon et m'étend sur le flanc, pour rire encore un peu.

"...cé beau, j'ai caché le monstre… Ahahahah! Bordel… on cogne peut-être? à moins que tu aies aimé la vue?"

Je me remets à rire. Vilain, vilain Heimpher… Faut bien que je m'amuse, des fois. Par contre, il a parlé de trucs pour changer mes pansements… mais ce n'est pas ça que je sens. De… la viande? J'ai l'eau à la bouche, automatiquement.

Leo rougit encore plus (si c’était possible) aux commentaires et au rire d’Heimpher. Il était extrêmement prude, sujet sur lequel sa sœur plus extravertie le taquinait souvent. Il toussota un peu, essayant de reprendre constance.

"Non pas du tout... je préfères… enfin… ce n’est pas de vos affaires ce que je préfères. Pas que je ne… enfin. "

Il secoua la tête et faillit s’enfoncer dans son embarra avant de finalement reprendre pied.

"Je… je vous ai trouvé un peu de viande. Il a fallu que je graisse généreusement la patte d’un fermier vu les problèmes de famines qui courent mais j’ai un quartier de buffle sauteur juste ici. Je… regrette de dire qu’il va falloir le faire cuire vous-même je… n’aime pas trop jouer avec la viande. "

Il eut un sourire désolé et tendit le paquet à son invité. Les boites de conserve encore bien à leur places étaient maintenant évidentes et il était clair qu’il devait avoir faim.

Bordel qu'il est trop choux. Il est tout timide et sait pas quoi dire. Il s'enfarge dans ses mots. Mauzune de petit bonhomme trop mignon. T'inquiète, j'aurais pas envie de te faire mal de toute façon… Je secoue la tête. Pense à autre chose pour le moment. Quand il sera parti, on s'en reparlera. Et comme il dit: t'es pas son genre. En tout cas. De ce qu'il dit làla.

Il me tend le paquet de viande en m'expliquant le tout. J'hausse un sourcil. La faire cuire? Ha. Hahaha. Je ne fais pas cuire la viande, moi… J'ouvre le sac, je regarde le morceau de viande et je bave à profusion. J'ai le réflexe de vouloir ouvrir grand, pour le gober, mais la douleur me rappel à l'ordre. Après un soupir, je mord plutôt dedans et repart avec un bon morceau. Bordel… de la viande! De la viande de la viande de la viande!!! J'ai tellement faim! Ça va tellement faire du bien! Je gronde de satisfaction, et je mord encore. Je n'ouvre pas assez pour que les points lâchent, mais ça fait mal un peu quand même.

"...merci…"

Je parlerai après, au pire. Là… je dois bouffer. Tellement.

Leo hocha la tête et resta un moment interdit en voyant Heimpher mordre a pleine dent dans la viande crue. Il ne fallait pas s’étonner… mais pour un végétarien la vision restait quand même assez perturbante. Il se contenta de sourire et de détourner le regard, préférant se concentrer sur la préparation des autres provisions. Il avait également de la viande et du poisson séché, quelques tranches de lard salé et un peu de viande en conserve. L’ingénieur risquait de se nourrir de pâtes pour la prochaine semaine mais au moins Heimpher, lui, ne mourrait par de faim.

Il sorti encore de son sac une bouteille d’huile à lampe ainsi qu’un paquet de bandes de gaze, un onguent antibiotique et une bouteille de désinfectant. Il ne restait plus qu’à attendre qu’Heimpher termine son repas… il serait difficile de travailler sur sa mâchoire alors qu’elle était en usage de la sorte.

Sous les yeux scrutateurs du géant rassasié, l’ingénieur s’approcha et posa son matériel devant lui sur une serviette, a même le sol. Il ouvrit les pots un a un et commencer à couper les différentes largeurs d’adhésif et de gaze dont il allait avoir besoins.

"Je ne fais que changer le pansement et vérifier si tout guérit bien… normalement ça ne devrait pas faire trop mal. Si vous sentez quoi que ce soit d’anormal dites-le moi et je vérifierais en même temps. "

L’ingénieur bailla un bon coup et entreprit de doucement retirer le bandage de la mâchoire d’Heimpher. Heureusement la peau de l’altéré ne présentait aucun poil et le ruban fut retiré facilement. Le froid frappa doucement la blessure exposée mais brièvement seulement. L’ingénieur plissa des yeux et augmenta légèrement la taille de la mèche de la lampe à l’huile pour mieux voir. Il y avait de l’inflammation, c’était prévisible. Ses points étaient peut-être un peu trop serrés mais dans l’ensemble la deuxième opération avait tenu le coup. Ce n’était pas très beau a voir mais le processus de guérison semblait commencer et ils avaient réussi à éviter l’infection. Une chance pour l’ingénieur, qui ne se voyait réellement pas cautériser la blessure d’une machine à tuer comme Heimpher.

"Ce n’est pas si mal. Je n’ai pas de points a refaire, donc je vais vous mettre une pommade analgésique pour la douleur et l’inflammation. Après ce sera simplement de changer le pansement a chaque jour pour éviter l’infection. A vue de nez je dirais au moins deux semaines avant qu’il y ait une croute suffisante pour se passer de pansement. "

Il soupira.

"… Et au moins trois avant que je ne puisse retirer les points de suture. Quatre, peut-être 5 avant de pouvoir recommencer a bouger la mâchoire. Lentement. "

Il se doutait que ce n’était pas là ce que l’altéré souhaitait entendre, mais vu ce qu’il avait enduré ce n’était pas très long… Un humain aurait mis facilement deux fois plus de temps à guérir. L’ingénieur se frotta les yeux et ensuite appliqua doucement sur la plaie la pommade qu’il avait mentionnée. Une forte odeur de menthol emplis l’atmosphère alors qu’Heimpher sentait la blessure s’engourdir tranquillement.

"Vous… vous avez pensé un peu à ce que vous comptiez faire ? Maintenant que… que votre collègue est entre les mains des défenseurs le dernier témoin oculaire de ce qui s’est passé est… disons… un peu moins a risque de dire ce qui s’est passé."

il continua de travailler, tant qu'il n'appliquait pas le pansement il pourrait parler sans difficulté.

Le petit bonhomme approche, sans vraiment de crainte. On dirait vraiment qu'il a l'habitude avec des grosses bêtes. Quoique les grosse bêtes de l'État on pas l'habitude de tuer des gens… Combien de morts, à cause de Buffles Sauteurs, jusqu'à maintenant? Probablement moins que ceux que j'ai à mon actif… Probablement, ouais.

Le froid me frôle la mâchoire, et je me rend compte que j'ai déjà hâte de ne plus avoir cette maudite blessure. Tout ça à cause de Jaygoh… Mon engourdissement s'en va lentement, pendant que Léo me rafistole. J'écoute à moitié. Je pense trop pour ça… Thobias a fait envoyé Jaygoh, en sachant qu'on se déteste à mourir… Pourquoi? La question me tourne dans la tête, en même temps que le petit bonhomme fait son travail. Je l'écoute un peu plus, maintenant. Quelques semaines… peut-être quelques mois, si je fais le con. Sans pouvoir chasser, à me casser le cul pour manger… Et après?

La manière qu'il a de me traiter me rend encore confus. Il prend tellement de temps pour moi. Il a l'air crevé, épuisé, mais il reste humain avec moi. Il me traite avec tellement de chaleur… je ne comprend pas, mais en même temps, ça me rappel quelque chose… J'ai déjà eu ce genre de traitement là… de où? C'est ça le problème… Je me rappel pas de où.

J'ai eu une vie, un jour. Je le sais. Avant l'Hécatombe, les renégats. J'ai juste aucune idée de quoi. JE veux dire… je dois avoir dans la trentaine, non? Même ça, je sais pas. Le plus loin que je me rappel, c'est le lit de camp, sur lequel je me suis réveillé. Changé, comme ça, avec cette apparence là… Après, les longues séances de tests, le gros blabla de Thobias, sur ce qui était le meilleur avenir pour l'État, leurs histoires de cinglé… Entre tout ça, encore plus de tests, des coups, d'autres choses dont je me rappel pas grand chose… Mais je sais qu'il y avait quelque chose, avant.

Il y avait cette fille, qui m'examinait, des fois. Qui aidait le doc à me remettre en un morceau. Son assistante, je pense. Jamais su son nom. Quand je posais des questions sur mes rêves bizarres, elle se contentait de sourire, bêtement, et de me dire de pas y penser. Que ma famille était avec eux. Quelle famille? Et c'est là que je me demande… est-ce que j'ai déjà eu une famille? Ça m'énerve tellement... Ma tête revient dans le moment présent quand l'odeur de menthol me frappe les narines. Beurk. Ça sent fort, ça, bordel… J'expulse rapidement l'air de mes naseaux, un peu choqué par l'odeur, mais je m'y fais assez vite. Pas le choix de toute façon…

Il me pose la question, et me voilà dans l'impasse… j'en sais rien. Juste rien...

" ...comment j'pourrais y penser? J'suis un gros monstre dans un poulailler… J'sais rien faire. Les Défenseurs me mettraient en taule du moment qu'ils sauraient que j'existe… les seuls que j'avais vont vouloir me faire la peau, ou au moins la maganer un peu… J'fais peur au monde, j'aime pas tant être tout seul… Ouais… plein d'options… Si les maudits rêves bizarres pis les flashs pouvaient arrêter, au milieu de tout ça, aussi…"

Je gronde, frustré. Inconsciemment, ma tête retrouve bien assez vite le chemin vers les jambes de Léo, et encore, je me retrouve avec ma grosse tête d'appuyée contre lui. Il dégage quelque chose… une chaleur. Un calme. Un petit quelque chose de rassurant, de posé. D'attentif et de doux… Ça me calme tellement, et je comprend pas pourquoi. Pas du tout.

"...dis… est-c'qu'on s'est déjà vu quecqu'part avant? J'ai plein d'blancs dans mes souvenirs…"

Leo continua de travailler, étudiant la physionomie de son interlocuteur à mesure que ce dernier parlait. Les altérations qu’il avait subies étaient incroyables d’un point de vue biologique, effrayant d’un point de vue humain. Leo interrompit son examen lorsqu’il entendit parler des rêves et des flashs. Était-il…

"Vous…"

Leo appliqua une bande de gaze et la maintint fermement en place le temps de poser le ruban médical.

"Non, nous ne nous sommes jamais croisés… du moins pas après votre altération je..."

Il arrêta de travailler un moment et se concentra de nouveau sur sa tâche. Il prépara la dernière couche du bandage.

"Parlez-moi de ses rêves… de ses flashs. Vous avez des souvenirs d’avant votre altération ?"

Il m'examine, je le vois bien. Je dois tellement être bizarre pour lui… j'ai plus rien d'humain, je le sais. Si je l'ai déjà été, pour commencer… j'aurais pu être n'importe quoi. Un Néorite, un Mutalythe… ou un humain. Je le saurai probablement jamais. Mais bon… ma peau est rugueuse, comme du cuir bouilli, mes écailles sont solides et forment une bonne carapace. Mes dents sont coupantes, mes naseaux assez larges pour que l'air passe bien. Mes yeux sont perçants. Le reste de moi…? Gros, solide, musclé, fort. Rien d'autre à dire…

Il commence sa phrase, la suspend et écrase une bande sur ma gueule pour mettre le ruban. Je gronde un peu. C'est assez inconfortable, un peu douloureux, mais rien de gros. Assez pour me faire gronder… ce qui est assez facile, en fait. Il confirme ensuite qu'on ne s'est jamais vu… et je me dis que c'est vraiment juste parce qu'il est gentil. C'est tellement un bizarre de petit gars… mais là, ma tête contre lui, je m'en fous. Je suis mieux que la plupart du temps.

Vient la question sur le avant, et je soupir. Je me mets à rigoler un peu aussi, plus par découragement que par amusement.

"Je me rappel de rien du avant. Si j'ai eu un avant… pour les rêves… heh. c'est juste con…"

Je prend le temps de penser. De me remémorer. Je fixe le vide un peu, à essayer de tout mettre en place, et je me remet à parler, non sans me lécher les dents avant. J'Ai soif, bordel...

"... y'a tout le temps une ptite fille. A me demande d'être prudent… elle est toute petite, mais je me rappel pas son visage. J'sais juste qu'elle a les cheveux noirs, pis qu'a sent le lilas… Sinon… un mur. J'rêve à un mur. Un gros mur. J'le vois comme si j'étais en haut, mais j'vois pas le sol. J'suis tout seul. J'entends des murmures, des fois j'ai mal… mais je me réveille tout le temps… C'est juste con. Ça veut rien dire."

MA voix est ferme. J'ai l'air décidé par mes paroles. Mais, pour vrai? Je suis loin d'être convaincu.

Leo termina le bandage tout de suite après les dernières paroles d’Heimpher. La plaie était propre, traitée et en voie de guérison. Pour le moment il ne pouvait rien faire de plus et le danger était écarté. Il était maintenant temps de travailler un peu sur l’esprit du colosse. Qui manifestement semblait en encore plus mauvais état que son corps.

"Je… je n’ai jamais encore entendu parler de créations « in vitro »… c’est un concept non seulement éthiquement très discutable mais qui nécessiterais des technologies que nous sommes a des années lumières de maîtriser. "

Machinalement, la main de Leo trouva le dessus de la tête de son protégé et se mis à la flatter. Si son professeur de biologie le voyait en ce moment…

"Les rêves sont souvent des messages de notre subconscient. Surtout des rêves récurrents. Ce… ce sont peut-être des souvenirs de votre ancienne vie justement, vous ne pensez pas ?"

Le jeune homme se gratta la tête un moment.

"Peut-être étiez-vous un Guérilla stationné sur la muraille de l’état ? Et la petite fille un membre de votre famille ? "

Je l'écoute attentivement et je profite des caresses sur ma tête. Chaque allé et venue de sa petite main me détend un peu plus. J'ai une drôle d'appréciation pour son affection, toute simple soit elle. Il prend du temps pour moi et j'apprécie. C'est pas plus compliqué que ça.

Il me parle, et même si ses paroles ont du sens... je veux pas y croire. J'aurais été un Défenseur, moi? Non... impossible. Je suis trop mesquin, trop méchant. Je suis un chasseur, pas un protecteur... je pense pas, du moins. Je me tourne un peu et je me ferme les yeux. Mon gros souffle réchauffe ses jambes, lentement.

"...j'me vois pas Défenseur... pis admettons que je l'aille été... j'm'en rappelerais, non? On m'aurait cherché, non?"

J'ai pas entendu qu'on m'aie cherché. J'étais coincé dans une boite. Avec de l'électricité, pour me calmer. Rien de plus. On me disait que là-bas, c'était chez moi. Pas ailleurs. Rien...

Leo continua de caresser le mastodonte, machinalement. Son esprit était toutefois occupé à rassembler les maigres notions de psychologie qu’il avait reçus de par sa formation.

"C’est… plus compliqué que ça, malheureusement. Vous êtes manifestement passé par beaucoup d’étapes. Quand on a aucun souvenir avant une certaine période c’est souvent à cause d’un blocage, un mécanisme de défense que notre esprit met en place pour protéger notre santé mentale. Mais de là à perdre des années… surtout avec les rêves et les visions dont vous me parlez… ça ressemble plus à un blocage intentionnel. Un genre de reconditionnement. "

Leo soupira. Il n’était pas psychologue et ne connaissait absolument personne du milieu qui pourrait lui fournir des informations précises. Encore moins qui accepterait d’aider Heimpher, même si il acceptait.

"Je… je connais des altérés qui sont officiellement considérés morts par leurs familles et leurs amis car ils voulaient à tout prix éviter qu’ils ne les voient ainsi transformé. Vous avez peut-être encore une famille et des amis, qui ne vous ont pas cherché parce qu’on ne leur a pas donné la bonne version des faits ? Vous… vous avez été ramassé par les renégats après tout. "

J'aurais eu une famille et des amis... moi. Ça me fait presque rêver. Une famille... j'imagine une ptite affaire, une petite fille, que je bercerais, et je trouve ça mignon... bizarre aussi. Un étrange mélange.

"...ouin... pourquoi faut qu'ce soit autant compliqué..."

Je me tais, quelques secondes. C'est tellement trop compliqué pour rien... Mais là, c'est simple. Il flatte ma grosse tête, on parle et y'a rien de plus. Je me surprend à frotter ma tête sur lui, un peu, comme un gros chat.

"...si t'as besoin d'un chasseur, un jour, tu m'le diras..."

Je dis rien de plus. Je lui dois quelque chose, dans tous les cas. Je trouverai le moyen de me racheter.

Leo pris un moment pour pleinement réaliser ce qui était en train de se passer et ne put s’empêcher de rire un peu. Ce n’était pas méchant, loin de là. Il avait juste peine à s’imaginer qu’un jour il tiendrait en dette morale quelqu’un comme Heimpher. Il resta silencieux quelques secondes après, inquiet a l’idée de ce qu’il allait dire.

"Il est malheureusement très possible que je fasse appel à cette offre éventuellement. "

Il sembla regretter ses paroles instantanément.

"Je ne fais pas tout ça pour que vous aillez une dette envers moi, je… "

Il soupira. Effectivement tout pouvait être très compliqué.

"Il est simplement probable que j’ai besoins d’aide prochainement. Je ne sais ni quand ni pourquoi… mais… tout ce dans quoi je mets les pieds semble devenir de plus en plus complexe."

Il garda le silence, découragé devant tout ce qui s’annonçait en face. Il mit ses inquiétudes en ordre dans son esprit en continuant de gratter la tête écailleuse posée sur ses jambes.

Je peux pas m'empêcher de rire en l'entendant qui s'explique. T'inquiète, le grand, j'ai bien vu quel genre de personne tu es. Je pense, en tout cas. Thobias aussi était super gentil, au début… et là, je commence juste à comprendre que c'est le plus dangereux du groupe. Il a ce don de me rentrer dans la tête et de me faire faire ce qu'il veut. De tirer sur les bonnes cordes pour me faire bouger… ça m'énerve, mais j'y peux pas grand chose…

Il continu de me gratter et de parler, et tombe sur le bout du "de plus en plus complexe". Dans quel genre de merde un petit gars comme lui pourrait bien se retrouver? Heh, pose pas la question trop vite, gros con. Il a quand même ta tête sur ses jambes… Il est tombé dans le genre de merde où c'est toi qui rapplique.

"...j'vais chasser pour toi. J'le fais pour du mauvais monde… j'peux bin le faire pour du bon monde… Dans quel genre de merde tu pourrais bin être, toi, de toute façon, hein?"

Je me tourne un peu, pour être capable de le regarder, et j'ai un petit rire. Une idée conne vient de me passer dans la tête. Heh, pourquoi pas. Sans trop avertir, mais pas trop brusquement non plus, je le pousse sur le dos avec ma grosse tête, qui finit son chemin sur sa poitrine, tranquille. Je me replace et m'accote sur lui, mieux maintenant. J'ai moins l'impression d'être plié dans des angles étranges, comme ça.

Leo eut un long soupir.

"Longue histoire… moi-même en fait je ne compr…"

Le reste de la phrase de mue en cris de surprise alors que l’ingénieur se sent tomber vers l’arrière. Il n’a même pas le temps de comprendre qu’il sent la grosse tête d’Heimpher lui tomber sur le torse et il ne peut s’empêcher de rire un coup.

"T’as vraiment des réflexes de gros chats… "

Sa main trouve encore une fois le chemin vers sa tête. Il lui a semblé trouver un point, derrière une plaque osseuse, qui fait particulièrement du bien à sa nouvelle connaissance. Il ne fait même pas mine de se lever.

"Je ne sais pas dans quoi je m’embarque. Dans quoi je me retrouve mêlé. Je grimpe dans les sphères scientifiques et Pipes guette le moindre de mes mouvements. Je ne sais pas encore si c’est un allier… mais peu importe. Il est dangereux, ça je le sais."

Son sourire meurt et Heimpher peut sentir le cœur du jeune homme battre plus vite.

"J’ai l’impression que je vais perdre des plumes dans cette histoire. Comme cette vieille fable sur cet homme qui voulait voler trop près du soleil. "

Il est surpris, le petit bonhomme, et après, il a un bon rire. Je sais pas pourquoi, j'aime le son de son rire… C'est bizarre. Une impression vraiment étrange d'attachement à un bruit que j'ai jamais entendu avant, mais que j'ai subitement envie d'aimer…

"...ça s'peut. Me semble qu'on m'a déjà dit ça…"

Encore des paroles qui sonnent écho dans ma tête. Est-ce que c'est la fille dont je sais pas le nom, qui m'aurait dit ça? Peut-être… Je me rappel pas. Peut-être bin- ...beeeeeeh… ça fait du bien, e faire gratter là… bordel… Je me met à gronder, doucement, d'appréciation, et je trouve ça assez troublant. J'ai jamais grondé de même. J'ai même ma jambe qui a des spasmes nerveux… c'est bin bizarre… continu de gratter… Même entendre parler de Pipes m'énerve pas plus que ça, avec ces grattouilles là...

"...Pipes… c'est un gros con… personne l'aime chez nous… il fout la merde… en plus, il descend les gars qu'on fait rentrer sans sa permission… heh… on a perdu trois gars l'autre jour à cause de lui… Une Défenseuse l'a aidé, ça a l'air… si il pouvait bin se faire mettre la main dessus par les Gardiens, ce con là… "

J'entends son cœur battre plus vite et je frotte ma tête contre lui un peu. Les nerfs… si on reste tranquille, il nous chassera pas, le méchant Pipes. De toute façon… tout le monde meurt d'une balle dans la tête. Il fait pas exception à la règle.

"Tin... on a juste à le chasser… du moment que ma gueule va mieux… je te l'attrape… et tu le fais danser sur ton tempo… t'en dis quoi?"

Là, maintenant, j'ai l'impression que c'est la meilleure idée au monde que je viens de dire. Avec les grattouilles, ça m'aide à le croire, en plus. Je gronde encore, doucement. Beeeeh. Je suis bien, là...

Leo secoue la tête, un sourire triste au visage.

"Si seulement c’était aussi simple. "

Il soupira.

"Pipes est… n’est pas entièrement humain. On a de bonnes raisons de croire qu’il est là depuis des décennies, des siècles peut-être… et cet âge viens avec de l’expérience et un réseau de contact bien établis. Déjà traquer quelqu’un que tous le corps défenseur réunis n’arrive pas à trouver risque d’être problématique, je me doute qu’il sait comment se défendre même si on arrive jusqu’à lui. "

L’ingénieur stoppa ses grattements pendant un bref instant. Manifestement il s’agissait d’un problème qu’il tournait et retournait dans sa tête depuis un moment. Il avait presque toutes les variables, les pour et les contres, les risques… rien ne concordait pour prendre l’offensive. Il grogna.

"Tu dis que tu l’as déjà croisé ? Tu es… étais… enfin... avec les renégats ?"

C’était la première fois que Leo semblait réaliser qu’il avait une source potentielle d’information devant lui. Il ne restait plus qu’à voir ce qu’Heimpher accepterais de divulguer. Il n’avait pas l’intention de se jouer de lui ou de lui soutirer des informations. Mais tout ce qu’il accepterait de lui dire ne tomberait définitivement pas dans l’oreille d’un sourd.

Heh… c'es tout le temps compliqué, les histoires qui parlent de Pipes. Tout le temps. Le gars sait tout, le gars voit partout, il disparaît en plein jour… ce foutu connard a coupé l'herbe sous le pied des renégats quelques fois déjà. Il a empêché quelques gros assassinats de se produire, entre autre… Thobias m'a toujours dit: si tu te mêles d'une histoire dont Pipes fait partie, laisse tomber. Revient à la base et laisse nous faire. C'est un trop gros morceau pour toi. Ouais… j'ai jamais eu de preuves de ça. Les cons qu'il a descendu étaient des flancs mous. C'étaient des lâches pas de colonnes. Je crois pas me faire avoir aussi facilement contre lui, moi…

Je l'écoute quand même, et je me redresse un peu plus il parle. Pas humain, ok… mais qu'il soit là depuis des centaines d'années? Quoi? Quelques Altérés ont dépassé la centaine, mais aucun a dépassé ça. Comment il a fait? Pourquoi il l'a fait? Bordel… si je ramène ces infos là à la base, peut-être qu'ils vont me pardonner pour Jaygoh… Bordel! Pourquoi je pense à ça, moi?! Je veux pas y retourner!!! ...est-ce que je veux autant pas y retourner….? Raaaagh! Je sais plus… je sais plus!!!

Il recommence avec ses questions, et je pense. Oui, je l'ai vu. Une fois. J'ai pas été impressionné. Je suis encore d'avis qu'on aurait pu le descendre. Il était sur notre terrain. Mais… non. Les boss ont pas bouger. Heh...

"Ouais... il est venu, une fois, à la base… on m'envoyait pas encore chasser, dans ce temps-là. Tout le monde agissait comme des chiens devant le gars de la fourrière… c'était pathétique… Il est venu engueuler les boss, je pense… Ouais, j'pense que c'est ça…"

Ma maudite mémoire a tellement de la misère. J'ai quelques images floues, entrecoupées de chocs électriques. De douleur. Je me raidit, et mon grondement devient un peu plus mauvais. J'ai presque la sensation des chocs, quand ça arrive… ça m'enrage.

Leo profite du fait qu’Heimpher se redresse pour se rassoir lui aussi. Le sol est froid après tout malgré la température confortable qui règne dans l’abris. Il prend un moment pour ajuster sa position avant de continuer.

"Alors Pipes est quoi… le patron des renégats ? Ou il les tient juste en respect ?"


Leo prit le temps d'y penser. Les renegats étaient des agents perturbateurs... des agents que Pipes pouvait diriger et contrôller sans avoir a faire la sale besogne.

Léo se remet assis et j'oublie assez vite le projet de réinstaller ma tête sur lui. Je vais le laisser respirer un peu. Peut-être plus tard, je vais pouvoir lui voler quelques autres grattouilles. Pas maintenant. De toute façon, le moment est pas tant bon pour ça. Il pose sa question, et je suis entre rire et gronder. Pipes, notre boss? Ah! Jamais! Au grand jamais! Si on pouvait… on accrocherait sa carcasse sur une poutre, pour montrer l'exemple. J'en ai entendu plusieurs dire ça, en tout cas.

"C'est pas notre boss. Du tout. Je sais pas le nom du grand boss. Je connais Thobias, qui est mon boss à moi… Jaygoh aussi était au-dessus de moi. Y'a un scientifique, aussi, qui passe de temps en temps, qu'y'est super important, ça a l'air… Mais pas Pipes. Merde, non. Les renégats lui haïssent la face. Ils peuvent juste pas lui défoncer la gueule, et je sais pas pourquoi. J'ai jamais compris pourquoi. Ça fait chier tout le monde."

Est-ce que j'en dis trop? Je suis dans quelle équipe, moi? Je sais plus… Assez brusquement, je me couche sur le dos. On entend le son de ma carapace qui frappe le sol, dans un bruit assez particulier. Je fais bouger mes articulations un peu, aussi. J'aime pas tant ne pas bouger, surtout quand je pense trop… et là, j'arrête pas de penser.

Leo secoua la tête. Ça faisait du sens. Pipes n’avait à peu près personne sous ses ordres directs. Il fonctionnait par intermédiaire, tirait les ficelles déjà en place. Il n’avait aucun intérêt à avoir une force armée directement sous ses ordres… ça attirerait trop l’attention. Mais être en mesure de manipuler un groupe armé visant à semer la terreur au sein de l’état pouvait lui être bénéfique. Leo haussa un sourcil a la mention du scientifique.

"Si je te dis « Sokolov »… est-ce que ça te dis quelque chose ?"

Il avait conscience qu’il poussait sa chance… ce serait sa dernière question si il ne voulait pas trop qu’Heimpher s’énerve.

Je le regarde en là, vraiment, je suis surpris. Comment il sait son nom, lui? Selon Thobias, c'est ce scientifique là qui m'a modifié... qui a fait le chasseur. Pourquoi ce petit bonhomme sait son nom?

"...c'est lui qui m'a altérer ça a d'l'air... Comment TU sais son nom, hum?"

Mon ton est devenu un peu plus froid. J'approche un peu mon visage de lui et je le fixe. J'aime pas entendre parler de ce gars-là... mais... peut-être que c'est par Pipes qu'il en a entendu parler? Ouais, probablement...

"En tout cas... c'est lui qui a fait les meilleurs tueurs par chez nous... des supers subtiles aux meilleurs pisteurs. On en a qui peuvent remonter des pistes qui datent de..."

Je m'arrête. Oh merde... ils peuvent me trouver. J'ai laissé assez de sang dans ma tanière pour ça. Putain de merde... s'ils trouvent Léo ici... il doit partir. Maintenant. Je deviens agité et ça paraît. Tous mes sens sont en alerte et je gronde.

"...putain de bordel de merde... faut qu'tu partes... faut que tu t'en ailles..."

Je me lève, brusquement. Il doit partir maintenant.