(Terminé) Les abîmes de la psyché (Fermé/DM)

Personne ne savait jamais quand les moments de faiblesse pouvaient frapper. Même les personnes qui se pensaient à leur meilleur pouvaient succomber. Plus on se croyait intouchable, et plus on tombait de haut. Les événements récents n'aidaient en rien cette impression d'invulnérabilité que les gens avaient. "Ça n'arrive qu'aux autres" devenait maintenant des "Ça s'est passé à deux pas de chez moi". La fête en l'honneur des 800 ans de l'État en avait été la preuve. Tous se croyaient à l'abris. Finalement, une personne avait semée le doute, même dans le coeur des meilleurs de Sicherheit. Si les Élus se mettaient à douter, alors que feraient les citoyens?

L'inquiétude l'avait donc gagné. En tant que citoyen, il avait un malaise devant la situation. En tant qu'homme de famille, il avait peur. Serait-il apte à défendre les siens? Les mutalythes, de base, étaient beaucoup plus durables que beaucoup d'autres... Mais personne n'était à l'épreuve des flammes des Puristes. Personne n'était non plus à l'épreuve des balles.

Comme à chacun de ses moments de doutes, il s'était rendu dans l'enceinte de son culte. Bien cachée, et surtout inaccessible aux personnes n'en faisant pas partie, il pouvait penser en paix. Se plonger dans le fond de son être, tomber en harmonie totale avec les autres aspects de sa personne. Chercher une force, quelque part au fond de lui, qui lui permettrait de sauver le monde. Pas le monde en général, non. Simplement son monde à lui, qui donnait un sens à sa vie.

Le mercenaire se trouvait donc là, au milieu de la pièce vide, à genoux. Il ne portait que le bas de son habillement habituel, ayant plié le reste et placé dans un coin de l'endroit.Personne du culte n'était là, aujourd'hui. C'était étrange, mais normal également, dans un certain sens. Qui voulait sortir de sa maison, avec la folie qui prenait les Puristes, dernièrement? Personne, sauf quelques imbéciles, dont il faisait partie. Il ne se plaindrait pas de tout cet espace, par contre, préférant le silence et la solitude à la compagnie d'autres humanoïdes, de toute manière.

Le lieu de culte était en effet vide. Zolvar y était donc seul, à première vue. La grande salle au sol matelassé ne donnait jamais l'impression d'être réellement seul. L'éclairage aux chandelles et tamisé donnait une impression de chaleur. Les longs morceaux d'étoffes, accrochés aux murs, remplissait la pièce d'une certaine douceur. C'était, après tout, un endroit pour la méditation, mais aussi pour faire la paix avec soi-même.

Malgré que le Mutalythe se soit cru seul, il ne l'était pas. Des pas, subtiles à cause du sol rembourré, se firent entendre. Quelqu'un vint s'agenouiller près de lui, dans le silence et la pénombre. Le silence resta accroché dans l'air quelques instants, puis une voix électronique se fit entendre.

- Rares sont ceux qui défient les probabilités pour venir se battre contre eux-même. Vous me semblez bien contrarié, mon ami. Peut-être pourrais-je vous aider?

C'était la même voix qui avait accueillie tous les suivants de ce culte. Synthétique, oui, mais qui avait toujours communiqué de bons conseils. Le Netralite était, après tout, connu parmi ses suivants comme une personne compréhensive et attentive.

Encore perdu dans ses réflexions, qui se montraient plus être des pensées anxieuses, il ne se rendit compte de la présence près de lui qu'une fois la personne agenouillée. Jetant un regard de billet, il reconnu sans peine le chef de maison, comme il aimait le surnommer dans sa tête. Beaucoup le voyaient plus comme étant un père d'une famille reconstituée plutôt qu'un chef de culte. Si on le comparait avec les meneurs des deux autres cultes répertoriés, il avait tout d'un paternel refoulé. Loin de lui l'idée de lui donner ce surnom de vive voix, par contre. Seule sa facette extravertie trouvait cette possibilité amusante. Les trois autres lui disaient de se taire.

La voix électronique eut tôt fait de le tirer de sa concentration, et il ouvrit grand les yeux, fixant devant lui. Cet homme, bien qu'un simple humain avait de devenir un cyborg, l'avait toujours inspiré. Il ignorait tout de lui, même son âge ou son vrai nom, mais il le prenait un peu comme un second père. Quel père ne voyait pas que son fils se portait mal? Seulement un mauvais.

- Peut-on être autrement que contrarié, avec les derniers événements? Les seuls qui doivent être fous de joie, à l'heure qu'il est, sont les Puristes. Quelques dissidents, peut-être...

Il eut un long soupir, presqu'aigre. Penser à tous les problèmes qui gangrenaient l'État et les dire à voix autre avait un tout autre résultat sur son humeur. Sa peau s'en retrouva un peu plus bleutée, accompagnée par ses cheveux.

- Pardonnez-moi mon aigreur... vous n'avez rien fait pour la mériter.

Tournant un peu la tête, il observa le cyborg, le détaillant subtilement. Si on lui avait bien dit quelque chose quand il était entré dans ce culte, c'est que le Netralite détestait se faire fixer.

Le cyborg eut un gloussement et resta silencieux quelques instants.

- Ne vous excusez pas. Beaucoup craignent ce qui peut se produire. Surtout dernièrement. Je comprend.

Encore, il y eut un moment de silence.

- Que pouvez-vous faire de concret contre les choses qui vous préoccupe, dites-moi?

Le silence, avec le subtile son des flammes qui crépitent, s'imposa de nouveau. Personne n'entrait, leur laissant ce moment d'intimité. C'était dans ce genre de moment, où un seul suivant du culte se trouvait dans le lieu de réunion, que le Netralite se permettait d'aller faire connaissance. Surtout, d'écouter leurs tracas.

Zolvar eut un soupir rassuré. La dernière chose qu'il voulait restait de se faire expulser du groupe. Surtout si c'était à cause d'une impolitesse comme celle qu'il venait de commettre.

De nouveau, il baissa la tête et songea longuement à la question. Ce qu'il pouvait faire de concret? Aller se battre et faire couler plus de sang. Essayer d'attraper les coupables, sans savoir si ce serait réalisable. Convaincre les Inhumains de ne pas tuer les Puristes, mais de plutôt les emmener aux Défenseurs. Aucune des solutions ne lui semblait réaliste, pourtant. Il n'avait pas l'impression qu'il réussirait à changer quoique ce soit. La seule réponse possible restait un...

- Rien. Je ne peux rien faire qui me semble réalisable, ou qui n'ajouterait pas de l'huile sur le feu. Je suppose que vous allez me dire qu'alors, il n'y a aucune raison pour moi de m'en faire...

Il soupira de nouveau,puis attendit de voir quels précieux conseils, ou sornettes, son interlocuteur pourrait bien lui dire.

Le Netralite attendit patiemment que Zolvar aie fini son processus réflectif, restant silencieux et respectueux. Entendant ensuite la réponse, il eut un gloussement qui se voulait doux, mais qui se retrouva tout de même un peu étrange à cause de sa voix synthétique.

- Je sais qu'il est parfois impossible d'arrêter de penser à ce qui nous tracasse, malgré que nous ne pouvons rien faire pour les faire disparaître. J'en suis conscient. Par contre, je me doute que vous n'avez pas considérer toutes les possibilités. C'est votre famille qui vous inquiète, n'est-ce pas? Pourquoi ne pas renforcer votre habitation? Placer des choses, en cas d'urgence? Une couverture de la bonne étoffe peut éteindre les flammes. Un sceau d'eau également.

Son regard se tourna vers le mercenaire, et il se tut de nouveau. Un ronronnement subtile s'ajouta aux sons ambiants, produit par sa respiration.

Sous les paroles du meneur du culte, Zolvar fronça les sourcils. Là, maintenant, il se sentait infiniment stupide. Comme beaucoup de gens, il s'était concentré sur les grandes actions, qui lui étaient impossibles d'accomplir. Il se trouvait probablement des excuses, de ce fait, pour ne pas agir et être aigre. C'était un comportement pitoyable. Toutes ses facettes le lui criaient, sauf une, qui lui rappelait patiemment qu'il aimait protéger les autres, tout simplement. Oh, s'il l'aurait pu, il aurait protégé tout le monde...

- ...et me voilà assis ici, à vous répondre avec une hostilité injustifiée et que vous n'avez pas causée, alors que je n'ai pas pensé une seule seconde à faire ces actions basiques... Je suis infiniment désolé. J'ai vu trop grand. J'ai visé un cible que je ne pouvais pas atteindre, plutôt que de me concentrer sur celles que j'étais certain de toucher. Je suppose que c'est la pression des derniers temps qui a fini par m'affecter, visiblement. Ou bien c'est cet Altéré qui m'est monté à la tête, avec ses idées suicidaires et ses processus farfelus...

Il sentait sa peau prendre une teinte un peu plus bleutée, mais ne s'en souciait pas vraiment. Il s'en voulait, et le changement d'humeur était donc normal. Le ronronnement supplémentaire qui s'ajouta dans les bruits ambiants, par contre, lui fit lever un sourcil, et il observa subtilement le Netralite en silence.

Patiemment, le Nétralite écouta les paroles du mercenaire. Il ne parla pas tout du long, attendant que son interlocuteur aie fini. Quand ce fut le cas, il reprit la parole, fixant le mur devant lui. Le son supplémentaire, lui, semblait provenir de sa poitrine.

- Je ne suis pas ici pour juger, mais pour conseiller. Votre réaction de voir les grands problèmes seulement est normale. Vous voudriez changer les choses, et ce ne sont pas des actions "basiques", comme vous dites, qui les changerait pour tout le monde. Mais sachez que la meilleure manière pour changer le monde, c'est de changer nous-même. Améliorez-vous, aidez les autres, et vous les inspirerez à en faire de même. Si vous pensez qu'une seule personne ne peut rien changer, et bien laissez un insecte dans votre chambre quand vous voulez dormir. Il vous prouvera le contraire.

Son regard se tourna vers le mutalythe. Il avait un visage humain, visiblement, mais ses yeux avaient été remplacé par des cybernétiques. Le reste de ses traits étaient dissimulés derrière un masque, de la même couleur que ses vêtements.

Zolvar resta silencieux, écoutant attentivement les paroles de son interlocuteur. Encore une fois, il avait raison. C'était normal de vouloir modifier les choses pour le mieux, surtout en ayant l'impression que quelque chose clochait dans le monde. Comme il aurait aimé avoir une position décisionnelle. Il aurait pu prendre les mesures adéquates pour régler beaucoup de problèmes. Mais il n'était qu'un mercenaire... et, au fond, ça lui convenait totalement.

- Je comprend. Merci beaucoup pour vos précieux conseils. Je me sens redevable... Y aurait-il quelque chose que je puisse faire pour vous rendre service?

Il essayait toujours de ne pas fixer le visage du Nétralite, mais les yeux cybernétiques l'hypnotisaient. Cette lueur ne faisait qu'attirer son regard.

Un petit rire fut sa première réponse. Il se remit ensuite debout, doucement, son regard porté vers l'avant.

- Vous ne me devez rien. Si vous tenez vraiment à me rendre service, revenez me voir quand votre esprit sera de nouveau troublé. Les montagnes se gravissent mieux à plusieurs, n'est-ce pas? Du moins, l'expérience en devient beaucoup moins solitaire. Je vous souhaite une bonne journée, mon ami. Faites attention à vous et prenez soin des vôtres.

D'un mouvementsdoux, il s'inclina, puis retourna à ses occupations, disparaissant derrière une série de paravents.

Le rire le surprit un peu, mais il ne s'en formalisa pas. C'était une manière d'exprimer l'amusement, après tout. Probablement que son désir de rendre la pareille amusait le Nétralite. Dans tous les cas, il ne prenait pas mal la chose. Aux paroles, il se contenta s'acquiescer. Son interlocuteur prenait son congé. Il pourrait méditer encore un peu, faire le ménage dans sa tête. C'est donc ce qu'il fit, laissant le cyborg partir. Trois heures plus tard, c'était lui qui quittait le lieu de réunion, un peu plus en paix avec ses doutes.